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Entretien Fatiha Benabbou l’article 7 permet au peuple de pulvériser la constitution

Entretien Fatiha Benabbou l'article 7 permet au peuple de pulveriser la constitution

ENTRETIEN. Fatiha Benabbou est constitutionnaliste. Cette juriste fait partie des quatorze signataires d’une lettre ouverte adressée au président Abdelaziz Bouteflika pour lui demander de renoncer à un cinquième mandat.

À moins d’une année de l’élection présidentielle de 2019, un groupe de personnalités dont l’écrivain Yasmina Khadra, l’ancien chef du gouvernement Ahmed Benbitour et le président de Jil Jadid Soufiane Djilali demandent au président de la République de renoncer à un cinquième mandat, qui serait une « erreur dramatique », selon eux. Abdelaziz Bouteflika, qui dirige le pays depuis 1999, ne s’est toujours pas prononcé. Mais ses partisans l’appellent d’ores et déjà à se représenter. La constitutionnaliste Fatiha Benabbou fait partie des signataires de la lettre ouverte. Elle s’est confiée au Point Afrique.

Le Point Afrique : Vous faites partie des signataires de la lettre ouverte adressée au président Abdelaziz Bouteflika où vous lui demandez de renoncer à un cinquième mandat. Pourquoi avez-vous adhéré à cette initiative ?

Fatiha Benabbou : J’ai adhéré à cette initiative parce que je sais que le président de la République joue un rôle très important. Selon l’article 84 de la Constitution, le président de la République incarne l’unité de la nation. Il incarne l’État dans le pays et à l’étranger. Autrement dit, il représente le peuple en sa personne et en son corps. La Constitution en fait un symbole vivant qui prête corps et voix à la nation algérienne unie. N’étant pas totalement formée, la nation algérienne a, encore, besoin d’un pouvoir incarné en une personne. Le peuple n’a pas vraiment le sens de l’abstraction. C’est-à-dire qu’il ne saisit pas très bien le pouvoir abstrait des normes. C’est un peuple d’oralité. Pour lui, le pouvoir doit encore être représenté par une personne qui lui parle et qui le rassure dans les moments de crise. Mais aujourd’hui le président est malade et ne peut plus assumer cette fonction. Le risque alors est de se trouver face à une défaillance présidentielle.

Y a-t-il aujourd’hui une défaillance présidentielle selon vous ?

Le président de la République ne s’adresse plus à la nation depuis 2012. Des ressorts se sont cassés. Il n’y a plus ce message présidentiel qui a cette fonction de cohésion sociale. Le peuple se retrouve en quelque sorte désemparé. Car personne ne peut prendre la place du président de la République. Il n’y a que lui qui peut s’adresser directement à la nation, et par ce biais, le peuple retrouve le fantasme de l’unité nationale en la personne du président. Actuellement, la société est devenue anomique. Personne ne respecte la loi.

Le président Bouteflika ne s’est toujours pas exprimé sur la présidentielle de 2019. Qu’est-ce qui vous fait croire qu’il va briguer un cinquième mandat ?

Nous ne pouvons pas exclure un cinquième mandat. Et ce qui est en train de se passer dans le pays nous fait peur. Nous sommes en train d’assister à des confrontations entre différents clans du pouvoir. Tout le monde a pu constater les décisions contradictoires prises par les uns et les autres. Le président a toujours eu cette fonction de suprême arbitre. Tout remonte vers lui et c’est lui qui arbitre entre les différents clans du pouvoir. C’est lui qui imposait un compromis entre eux pour éviter des situations d’affrontements. Son absence devient donc un facteur de risque. Au sein de notre système, le président est le centre de gravité du pouvoir. Quand il est absent, tout se paralyse ; d’autant plus qu’en Algérie, aucun clan du pouvoir n’est en mesure d’assurer l’hégémonie politique. Dès lors, face à un président qui n’assume plus son rôle, il y a des risques de turbulences qui peuvent mener le pays vers le chaos.

Rappelez-vous ce qui s’est passé dans les décennies 1980 et 1990. L’histoire retient que le président Chadli Benjedid, n’ayant pas réussi à assumer son rôle charismatique et à s’ériger, donc, en arbitre suprême, a échoué à stabiliser le système. Cette situation a provoqué des désordres qui étaient susceptibles de désintégrer le tissu social. Ce qui a entraîné l’arbitrage par l’armée en 1988, en 1990 et en 1992. Elle a été obligée d’intervenir parce qu’il y avait justement une défaillance présidentielle. Donc, partant de l’expérience précédente, on n’a pas droit à un remake.

L’armée peut-elle encore intervenir aujourd’hui pour arbitrer ?

L’armée va finir par entrer en jeu et arbitrer. La société algérienne est très hétérogène. Elle a besoin de s’identifier à la personne du président. Et celui-ci doit être assurément une personne physique et ostensible surtout. Il faut garder présent à l’esprit que nous sommes encore une société pré-moderne.

En quoi un cinquième mandat pourrait constituer une « erreur dramatique » comme vous l’écriviez dans la lettre ouverte au président ?

Le président de la République est malade. Par conséquent, nous allons nous retrouver dans une situation de défaillance présidentielle qui serait un facteur de risque. Il peut y avoir des turbulences comme dans les années 1990. Donc la menace de désintégration de la société n’est pas une vue de l’esprit.

J’ajoute que le cinquième mandat serait inconstitutionnel. En 2016, le président a fermé le verrou des mandats après l’avoir ouvert en 2008. Désormais, la Constitution ne parle que de deux mandats pour chaque président. Car il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas eu de nouvelle Constitution en 2016, mais une simple révision, de surcroît, adoptée par un pouvoir constitué, et non par le pouvoir constituant, qui appartient exclusivement au peuple. Si le président se représente, alors, pour un cinquième mandat, il risque de se retrouver dans une situation inconstitutionnelle.

Comment le renoncement au cinquième mandat pourrait-il réellement ouvrir une ère nouvelle pour le pays ?

Le renoncement à un cinquième mandat pourrait ouvrir une ère nouvelle si la personne élue représente réellement le peuple et reflète son choix. Il faudrait que la personne puisse avoir le maximum de voix et faire le consensus. Il ne faut pas que le choix se fasse ailleurs et qu’on demande au peuple de le ratifier.

Nous avons un système qui a besoin d’un homme avec une forte personnalité et une aura, qui soit en mesure de s’imposer et d’arbitrer entre tous les clans du pouvoir. Et si la personne élue n’a pas ces qualités, nous serions, à nouveau, confrontés à une situation périlleuse.

Pensez-vous que votre appel sera entendu ?

Non, je ne pense pas que cet appel soit entendu. Quand on prend le pouvoir, on ne le lâche pas et ce n’est pas propre au président Bouteflika. C’est pour cela que Montesquieu avait dit que celui qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il est rare de voir quelqu’un lâcher le pouvoir. Cet appel est surtout une prise de position par rapport à l’histoire ; ce que tout intellectuel ou tout universitaire se doit de faire. Vis-à-vis de notre conscience et de notre société, on a essayé de sensibiliser l’opinion publique et faire prendre conscience du danger.

Written by Isabelle

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